En 1995, Laurence Yadi et Nicolas Cantillon sont au Liban, à Beyrouth. Commence alors une histoire qui les conduira dans un monde de création, lequel sera continuellement bercé par l’atmosphère singulière de leur première vraie rencontre.
La même année à Beyrouth, Mohamed Matar (maître du buzuq arabe) décède prématurément à l’âge de 56 ans. Laurence et Nicolas n’ont jamais rencontré Mohamed Matar, mais il sera une figure centrale dans cette nouvelle création.
Beyrouth 1995 se propose de rejouer le moment fondateur du Multi styles FuittFuitt sous la forme d’un conte.
Il est 21h, le 7 décembre 1995 à Beyrouth, Laurence et Nicolas sont en tournée avec le Ballet Jazz Art de Paris, compagnie de danse. Le spectacle est terminé, ils quittent le théâtre de Beyrouth pour une soirée organisée en l’honneur de la compagnie dans un restaurant couru de la capitale. Les douze danseurs ainsi que le reste de l’équipe arrivent au restaurant. Sont déjà attablés des intellectuels, des journalistes, des écrivains, des poètes, des présentateurs-télé impatients de rencontrer la troupe parisienne.
Les mezzés passent, l’ambiance est à la fête, nous sommes en 1995. Le Liban se relève à peine de sa guerre civile: la ville a alors retrouvé son statut de centre touristique, commercial, culturel et intellectuel du Moyen-Orient. Les tubes de musique pop libanaise engagent les convives à l’amusement. L’ambiance est celle de ces soirées où on imagine que le lendemain ne veut rien dire et que tout se passe ici et maintenant.
Laurence se met à danser avec une vedette de la télé et un danseur de la compagnie, c’est le climax de la soirée. Transpiration, ondulations, euphorie collective. Au même moment, Mohamed Matar s’éteint. Laurence est transportée par une force qui fera de son corps une corde aussi solide que fragile où se crée une combinaison de torsions et d’isolations qui semblent vouloir ne jamais s’arrêter. Mohamed Matar vient-il de lui transmettre son maqâm? Assis à une table, imbibé d’arak, Nicolas est interdit sur sa chaise. Il ne sait plus si tout ça est réel, si ses origines polonaise l’ont lâché, s’il ne supporte plus l’alcool à 50° ou si Laurence, avec laquelle il flirte depuis quelques jours, est en train de l’ensorceler par le biais d’une danse fatale.
Tout cela a bien eu lieu.
Depuis, Laurence et Nicolas élaborent des pièces où le style de danse invite le corps à se dérouler continuellement, sans fin, à l’instar des modes des maqâms qui déjouent les contraintes du système tonal occidental. Voilà le Multi stylesFuittFuitt. Avec la pièce Beyrouth 1995, les chorégraphes mettent en scène un instant. Cet instant, ils l’étirent comme pour le conserver éternellement. C’est peut-être cela qu’ils font depuis le début de leur carrière de danseurs et chorégraphes, étirer cet instant-là.
Pour cela, ils invitent deux musiciens formés à la musique classique arabe et spécialistes des maqâms sur scène: Adel Degaïchia et Ammar Toumi. La pièce prend la forme d’un concert où sera joué en direct des partitions musicales de tradition arabe. Les chorégraphes révèlent une danse qui est la projection naturelle du concert.